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Grand Corps Malade est sur télérama
je copie colle pour les non abonnés, parce que j'aime beaucoup.
(que télérama mes pardonne, mais je suis abonnée depuis 20 ans)
article de Sébastien Mauge
(Grand corps malade avait déjà eu un bel article sur Télérama pour midi 20 et l'essor du slam, j'ai toujours j'article, j'avais mis des photos sur le forum, mais elles ne doivent plus être visibles)
Il voulait enseigner le sport, mais l’accident qui a causé son handicap l’a obligé à revoir ses plans. Du slam au cinéma, Grand Corps Malade a gardé le goût de la transmission. D’ailleurs, son deuxième film, “La Vie scolaire” (actuellement en salles), parle de l’école.
Sa longue silhouette sombre, en contre-jour, envahit l’espace d’un couloir étroit. Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade, en impose. Par sa taille (le mètre quatre-vingt-dix est largement dépassé), son aura et son charisme. Cette vision confirme d’abord bêtement nos a priori sur une certaine austérité du personnage : la voix grave et monocorde, le goût de la nostalgie dans ses textes, le poids et la solitude supposés du handicap, cette canne qui ne le quitte pas comme naguère l’atrabilaire Dr House…
Comme on se trompait ! Car de cette ombre jaillit très vite la lumière (Ombre est lumière, comme le titre d’un album d’un de ses groupes préférés, IAM). La voix n’est pas si grave, la tchatche est étourdissante et le langage, familier, toujours en lien avec Saint-Denis, cette ville de la banlieue nord de Paris ; même si le slameur de 42 ans devenu cinéaste (son deuxième film, La Vie scolaire, sort cette semaine) réside désormais dans la capitale.
Evacuer la tragédie
Durant notre rencontre, Grand Corps Malade ne cessera de déjouer nos attentes, d’évacuer la tragédie, d’apporter de la nuance, de mettre en avant son goût du clair-obscur. « J’aime la nostalgie, mais elle ne me plombe jamais le moral, elle “forme un rythme, une mélodie qui fait danser mon présent”, comme je l’écris dans le titre Acouphènes. J’ai du mal avec le pathos au premier degré, j’aime bien faire sortir des vannes d’une situation compliquée. »
Il y avait de quoi s’en douter en voyant son premier film, Patients (diffusé jeudi 5 septembre à 21.05 sur France 3), sorti en 2016 et adapté de son livre éponyme. Il l’avait mis en scène avec Mehdi Idir, son complice depuis quinze ans, le réalisateur de ses clips, croisé dans le « petit village » de Saint-Denis.
Grand Corps Malade y narrait avec humanité, chaleur, mais aussi autodérision, le long chemin de la rééducation après l’accident de piscine qui l’a rendu « tétraplégique incomplet » en 1997, quelques jours avant ses 20 ans, un anniversaire qu’il a vécu en réanimation.
Pour le natif du Blanc-Mesnil, pur produit du 9-3, ce fut ensuite le temps de la réinvention, du Plan B (le titre de son dernier album, sorti en 2018), après vingt premières années qui semblaient tracer un chemin naturel vers l’enseignement.
“C’était comme si la vie avait décidé pour moi, comme si je n’avais pas trop choisi ce nouveau chemin.”
« Au collège, raconte ce fils d’une bibliothécaire et d’un haut fonctionnaire très à gauche, j’étais très bon élève, avec beaucoup de facilités, mais j’étais un “bordel”, j’avais beaucoup d’avertissements pour mauvaise conduite. Je faisais le minimum parce que ça suffisait. Mon truc, c’était le basket. Beaucoup ont écrit que l’accident avait brisé une future carrière de basketteur pro, ça me flatte si les gens le croient [rires], mais ce n’est pas vrai. J’aurais peut-être pu devenir un bon joueur de Nationale 1 [le troisième échelon du basket français, ndlr], mais pas plus. Dans ma tête, je partais vraiment pour être prof d’EPS. Ces derniers temps, le basket s’invite dans mes textes. Avant, mes proches me demandaient pourquoi je n’en parlais jamais. Peut-être fallait-il laisser passer du temps, c’est de l’ordre de l’inconscient sans doute. »
Après la rééducation, le monde du sport ne s’évapore pas et le slam est encore loin. Fabien reprend ses études de Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives) en filière management, obtient son diplôme en 2001, et dégote un job de commercial au Stade de France.
Le slam, une claque
Dans ce monde qui va désormais trop vite pour lui, ce travail s’apparente à une aubaine. Pourtant, quelque chose coince. « C’était comme si la vie avait décidé pour moi, comme si je n’avais pas trop choisi ce nouveau chemin. Malgré mon handicap, j’avais eu la chance de trouver un métier, plutôt bien payé et lié au sport, donc je ne pouvais pas me plaindre ! Mais ça ne m’allait pas ; plus je découvrais l’omniprésence néfaste de l’argent dans le milieu du sport, plus j’en avais marre. Finalement, je m’arrange pour me faire virer au moment où je découvre le slam. »
“Je fais deux, trois textes, Ardisson kiffe de ouf et m’invite dans ‘Tout le monde en parle‘, alors que mon premier album n’est même pas encore fini.”
En 2003, le slam, la révélation. Jusque-là, il n’avait pas écrit grand-chose, à part « des petits textes de rap pour changer un peu des lignes de “f” » qu’on lui demandait d’exécuter en rééducation. Et puis un ami perd un pari et doit faire son premier slam en guise de gage dans un petit bar de la place de Clichy, à Paris. Fabien l’accompagne pour le soutenir. « Je prends une vraie claque : j’adore ce que je vois et je sais immédiatement que je suis capable d’écrire des textes et de les réciter devant un public. »
Un mois après, il y retourne avec des productions composées pour l’occasion. Le public est conquis. Le Stade de France n’est plus son terrain de jeu. Un de ses patrons lui reproche de perdre son temps à donner des cours dans son ancienne école de marketing sportif. Déjà ce besoin de transmettre à un auditoire. Cette fois, Fabien ne laisse plus la vie choisir pour lui : il va au clash pour entraîner son licenciement et toucher le chômage, afin de se lancer pleinement dans son projet de slam.
Il écume alors les petites scènes avec un collectif de sept slameurs jusqu’en 2005, date à laquelle il rencontre son actuel producteur, un ancien comédien de one-man-show, Jean-Rachid. En une soirée, les choses s’accélèrent.
Aznavour pour parrain
« Il me fait faire un showcase dans une petite salle, pour la première fois en solo. C’est archicomplet. Comme il a fait du one-man-show, Jean-Rachid ramène ses potes Eric et Ramzy. Ces derniers m’adorent et m’incrustent quelques jours après dans l’émission de Thierry Ardisson 93, faubourg Saint-Honoré [sur la chaîne Paris Première, ndlr], en me présentant comme un poète des temps modernes ! Je fais deux, trois textes, Ardisson kiffe de ouf et, le mois d’après, m’invite dans Tout le monde en parle, sur France 2, alors que mon premier album n’est même pas encore fini. C’était hallucinant, j’arrivais dans cet antre de la promo dans lequel tout le monde voulait venir… sans rien à vendre ! »
Il enchaîne les plateaux de télé et se retrouve même à La Cigale, dans le barnum poético-surréaliste d’Edouard Baer, la pièce de théâtre La Folle et Véritable Vie de Luigi Prizzoti, dans laquelle il interprète tous les soirs les fameux Voyages en train, un titre qui propulse son premier album, Midi 20, sorti en 2006.
“Avoir un handicap à vie ne sera jamais un bien. Mais j’ai réussi depuis longtemps à faire le deuil de ma vie d’avant.”
Le public français découvre à la fois le slam et ce « grand corps malade » que Fabien n’a jamais eu peur de mettre en avant. Il est ensuite adoubé par un parrain musical de premier choix : Charles Aznavour, le beau-père de Jean-Rachid. « C’était un homme curieux de tout, il est venu me voir très tôt en concert, il aimait beaucoup mes textes. Il a toujours eu ce petit complexe d’être considéré avant tout comme un immense interprète, plus que comme un auteur. Son rêve était d’entrer à l’Académie française, que l’on parle de ses textes comme on parle de ceux de Brassens. Il l’aurait mérité. »
Pour survivre, Grand Corps Malade a été obligé de se réinventer. Cette nécessité est devenue petit à petit une philosophie, un mode de vie pour ne pas stagner. Il suffit de voir son parcours ces quinze dernières années. Son évolution musicale, l’écriture d’un livre, la réalisation de deux films… Le plan B est une réussite éclatante qui ne s’est pas construite simplement pour exorciser les regrets du plan A.
« Il peut m’arriver parfois de me demander où j’en serais aujourd’hui sans l’accident, et si c’était à refaire, je ferais autrement, bien entendu. Parfois, on me demande sérieusement si, finalement, ce qui m’est arrivé n’est pas un mal pour un bien. Avoir un handicap à vie ne sera jamais un bien. Mais j’ai réussi depuis longtemps à faire le deuil de ma vie d’avant. J’ai la chance d’avoir une vie très excitante et un métier qui est un vrai privilège. »
“Le dialogue est encore possible entre profs et élèves, si les efforts sont faits des deux côtés.”
Aujourd’hui plus que jamais, l’ancien élève turbulent de Saint-Denis est dans la transmission et le partage, les vertus fondatrices du slam. Il est le parrain d’une association, Sourire à la vie, qui propose des activités enrichissantes aux enfants malades du cancer. Il a animé des ateliers en prison et lancé un grand projet avec l’Education nationale, à l’époque où le ministère était dirigé par Najat Vallaud-Belkacem, pour les profs qui souhaitent utiliser le slam comme ressource pédagogique.
Ce n’est pas un hasard si l’école est au cœur de son nouveau long métrage, toujours coécrit et coréalisé avec Mehdi Idir. La Vie scolaire interroge les limites du système éducatif, le lien parfois brisé entre profs et élèves, sans angélisme ni pessimisme, avec un ton juste et authentique (Authentik, autre album d’un de ses groupes phares, NTM).
Pédagogie salvatrice
« Nous voulions parler du collège dans ces quartiers que l’on connaît bien, avec un ton sincère et nuancé. Il n’y a pas de gentil enseignant et de méchant enseignant, le “méchant prof” du film est juste en difficulté. Nous avons fait attention à soigner tous nos personnages pour éviter les clichés et pour que les vrais protagonistes de ce quotidien s’y retrouvent. Et pour montrer aussi que le dialogue est encore possible entre profs et élèves, si les efforts sont faits des deux côtés. »
Restaurer la communication, aller vers l’autre, être bien entouré… ces thèmes qui innervent l’œuvre de Grand Corps Malade sont cristallisés dans le refrain d’un duo avec Aznavour en 2010 : « L’homme est un solitaire / Qui a besoin des autres / Et plus il est ouvert et plus il devient grand / Découvrez ma culture / J’apprendrai la vôtre / Je pense, donc je suis / Et tu es, donc j’apprends » (Tu es donc j’apprends sur l’album 3ème Temps).
Il y a comme une pédagogie salvatrice dans ces paroles. Fabien Marsaud n’est pas devenu prof de sport. Mais Grand Corps Malade est un excellent prof de l’être.
Hors ligne
Pour une fois qu'un article ne raconte pas plein de c...neries autour de son accident, de l'écriture, du basket,... et ça vient de Télérama et il n'est pas peu fier d'avoir un bel article dans Télérama (c'est dans sa story insta).
Tu as eu raison de le mettre en ligne.
Merci Nicole
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