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Mon enterrement. Même le ciel faisait grise mine et pleurait ce jour là . Des visages tristes sur des corps vêtus de noir, bien plus que je n’aurais pu l'imaginer, tous regroupés et serrés les uns contre les autres sous des parapluies de couleur terne. Je me demandais si certains n'étaient pas là par simple plaisir. Des ennemis peut-être ? Je reconnus mes parents et plus particulièrement mon père dont l’expression me frappa. Parmi ce grave regroupement d'amis, de membres de ma famille, de proches et de connaissances duquel s'échappait ma petite fille sous son parapluie rose, il semblait être le seul à ne pas accuser le coup. Il tenait ma mère par l'épaule et la serrait contre lui de toutes ses forces pour l'aider á surmonter cette dure épreuve mais sur son visage, je lisais qu'il n'y croyait pas. Il regardait ce cercueil sûr d'une chose: peu importe la personne qui s'y trouvait, il ne s'agissait pas de son fils. J’ignorais pourquoi. Comment savait-il ? Connaissait-il ce secret que j’avais découvert moi-même il y a peu ?
Non loin de là , dissimulé sous un chapeau, avec une écharpe remontée sur le nez pour contrer le froid et rester discret, avec un imperméable digne de ces inspecteurs de films noirs, je feignais de venir fleurir une autre tombe. Et alors que je déposais ces fleurs que je venais de prendre sur la stèle d'un inconnu, un peu en retrait, je souris face à la scène à laquelle j'assistais, témoin de mon propre enterrement et de la tristesse que je laissais derrière moi.
Je n’étais pas un fantôme, ni même une de ces entités spectrales que le cinéma aime exploiter pour garder intact notre espoir de ne pas finir comme simple repas pour les asticots. J’étais bien là , de chaire et de sang, sur mes deux jambes, vivant alors que le monde me croyait mort. Une situation inédite qui était venue bouleverser tout ce en quoi je croyais et qui redéfinissait jusqu’aux définitions de la vie et de la mort. Les religions, l’histoire, la science, tous ces concepts et ces certitudes ébranlés, balayés par le résultat de ma résignation. C’était un monde nouveau qui s’ouvrait devant moi aujourd’hui et le champ des possibilités qui le composait me semblait infini. J’étais grisé par tout ceci comme jamais je ne l’avais été. L’incompréhension et la peur de ces derniers jours faisaient place à l’excitation. Je sentis ma main trembler dans ma poche et je la sortis pour la regarder comme si je la voyais pour la première fois. Elle semblait renfermer le monde. Le sang martelait mes tempes au milieu du bruit des gouttes qui venaient mourir sur mes épaules, preuve que j’étais bel et bien vivant. Je vins appuyer ma main contre ma poitrine pour sentir mon cœur battre comme si jamais il ne pourrait s’arrêter. Je l’écoutais jusqu’à faire abstraction des appels de phares et des quelques coups de klaxon de la petite japonaise trois portes garée de l’autre côté des grilles du cimetière. J’avais envie de crier, d’hurler au monde que j’étais toujours là . Je levais la tête vers ce ciel lourd et menaçant et c’est souriant comme jamais, les yeux fermés, que j’écoutais l’opéra de ma propre renaissance. Je naissais, de nouveau.
Un frisson vint brusquement mettre un terme à toute cette allégresse. Ils avaient tous disparus. Ma tombe était seule, déserte et je les vis arriver vers moi par l’un des sentiers devenus boueux. Je regardais d’un côté, les appels de phares et les klaxons avaient cessé. De l’autre, ils étaient maintenant bien trop prêts pour que je ne bouge. Je baissais la tête et posais la main sur cette stèle glaciale afin de feindre la désolation. Je ne pouvais être vu et je sentis mon estomac se nouer dans ma poitrine alors qu’ils passaient tous derrière moi, certains silencieux et graves, d’autres abattus et sanglotant. Mes amis, mes proches, ma femme Mia, ma fille Lise, mon existence à laquelle je tournais le dos me croisait une dernière fois sans le savoir. Je reconnus des voies, saisit des bribes de conversation et alors que je sentais ma vie défiler derrière mon dos, une main se posa sur mon épaule. Mon cœur sembla exploser hors de ma poitrine lorsqu’une voix familière s’éleva.
« Je crois que la personne dans la voiture là -bas s’impatiente. »
J’hésitai à répondre de peur d’être reconnu. Papa. Sa main resta posée là un instant puis il l’enleva. Je ne dis rien mais je sentis dans son geste une certaine affection. J’entendis ma mère se moucher dans ses sanglots étouffés de vieille dame fatiguée. Il n’était plus question de renaissance et de quelconque sentiment de joie. Je sentis les larmes me monter lorsque mon père repris avec cette phrase qui sema le doute dans mon esprit.
« Allons-y chérie. Je sais qu’il est quelque part et qu’il pense à nous. »
Avec la pluie incessante, je ne les entendis pas reprendre leur marche. Après un court instant, je regardais dans leur direction. Ils s’éloignaient doucement sous le poids de leurs années. Ma mère s’aidait de la canne que je lui avais offerte à notre dernier Noël. Je m’attardais sur mon père, pensant qu’il allait se retourner comme pour me confirmer qu’il m’avait reconnu. Car il savait, il n’y avait plus aucun doute. D’autres questions me vinrent alors à l’esprit. Pourquoi lui ? Et s’il savait maintenant, c’est qu’il avait toujours su. Pourquoi ne le disait-il pas à ma mère pour lui enlever le poids et la douleur d’enterrer son fils unique ?
J’attendis que le cortège de voitures s’éparpille dans la nature. Le corbillard qui avait transporté le corps de cet inconnu à la place du mien fut le dernier à repartir. C’est ce moment que choisi Léo pour me rejoindre en courant.
« Alors, on décolle. On ne va pas passer la nuit ici ? »
J’étais curieux, je voulais faire face à ma tombe. Il sautillait sur place d’impatience et grimaçait alors qu’il prenait l’eau.
« Retourne dans la voiture, je t’y rejoins. Il faut que je vois où je suis enterré. » Dis je en souriant.
C’était une pierre tombale des plus simples, grise, rectangulaire avec ses lettres dorées et une épitaphe des plus banales. Dessus je pouvais lire :
1981 – 2012
Antoine RESS
Notre fils, mari et père bien aimé.
Dernière modification par Ricow (14-10-2013 18:44:29)
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ça donne envie de lire la suite en tout cas!
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ça donne envie, oui!
il y a un truc qui me fait un peu tiquer, c'est le "Ils avaient tous disparus. Ma tombe était seule, déserte et je les vis arriver vers moi par l’un des sentiers devenus boueux."
quand j'ai lu "Ils avaient tous disparus." j'ai cru que le cimetière était désert, d'où ma surprise en lisant la suite.
je mettrai quelque chose comme "les abords de la tombe étaient devenus déserts et le les vis.."
enfin c'est juste mon avis
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Merci Nicole. Je prends ta modification. Content que le début suscite l'envie
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Je confirme, ça donne envie de lire la suite ...
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C'est bien écrit ! Peut-être une ou deux choses à alléger !!! ex : "Je vins appuyer ma main contre ma poitrine pour sentir mon cœur battre comme si jamais il ne pourrait s’arrêter. "
Sinon l'idée est bonne et le suspense est lancé ! Question "le père sait parce qu'il ....." !
L'important c'est d'accrocher le lecteur dès le début ! C'est fait !!! Et l'écriture doit être irréprochable , il faut donc se faire relire par plusieurs personnes ! On passe toujours à côté d'une coquille !!!
Bravo mon pote !!! J'espère que tu arriveras au bout !!!!
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